Monsieur le Président,
Chers Collègues,
Mesdames, Messieurs,
Monsieur le Président, ne partageant pas la fascination que vous avez exprimée pour les fastes de l’ancien régime, je reviendrais sur des préoccupations plus républicaines et tournées vers l’avenir.
Au début du rapport sur les orientations budgétaires de notre Assemblée pour 2014 que vous nous présentez, Monsieur le Président, vous avez souhaité évoquer succinctement quelques grands indicateurs macro-économiques sur l’État de la France en cette fin 2013.
Avec la posture convenue de ceux qui découvrent l’opposition et prêtent bien sûr tous les vices au pouvoir qui les a remplacés, même quand celui-ci pare pourtant de vertus nouvelles la politique que vous souteniez hier et qu’il pourfendait alors.
N’est-ce pas le comble des paradoxes que de vous voir reprocher à l’actuel Président de la République de ne pas tenir ses engagements, en raison de sa conversion au dogme austéritaire qu’il prétendait combattre hier lorsque c’était le gouvernement que vous souteniez qui la mettait en œuvre ? Que nous puissions lui adresser ce grief peut se comprendre puisque nous nous inscrivons dans la continuité de nos actes et de nos convictions, mais que cela vienne de votre part ne manque pas de surprendre. Comme si d’une certaine façon, vous reprochiez au gouvernement d’aujourd’hui « d’avoir copié sur vous » et de vous piquer vos outils, réduisant ainsi un espace politique où vous éprouvez de plus en plus de difficultés à matérialiser une réelle opposition et à masquer un accord sur le fond qui s’est d’ailleurs exprimé à plusieurs reprises : du vote du Traité Merkozy sanctuarisant l’austérité et la soumission de notre pays aux diktats de l’Union Européenne à la dernière Loi sur les Métropoles qui programme la mort des communes et la disparition à terme des départements, en passant par l’Accord National Interprofessionnel qui représente un recul grave pour les droits des salariés, autant de lois qui n’ont pu être votées qu’avec la complicité tacite des parlementaires de votre parti dont certains siègent d’ailleurs dans cette assemblée. Mais il est vrai, comme l’écrivait le grand écrivain portugais Lobo Antunes : « Quand on perd la mémoire on perd sa faculté d'imaginer. » Quand, sous couvert du dogme sacré de « réduction de la dépense publique » que vous partagez avec le gouvernement actuel, sont perpétuées des politiques que les électeurs avaient pourtant condamnées sans appel l’an dernier et dont on mesure chaque jour les ravages qui se creusent :
Lorsque l’on aborde la situation de l’emploi avec ce chômage galopant dont personne aujourd’hui ne croit plus à une inversion de la tendance d’ici à la fin de l’année, comme ne cessent de le répéter pour s’en convaincre le Président de la République et ses Ministres, on ne peut que constater que « notre département n’a pas échappé à ce mal endémique » comme vous l’écrivez vous-même, avec une évolution plus rapide que la moyenne nationale. Et ce n’est pas l’inflation abusive des contrats précaires de quelques heures qui saurait masquer la réelle situation de l’emploi. Mais au-delà de ce constat alarmant, quelles sont les actions qui traduisent une volonté politique de la part du département de contribuer à s’attaquer à ce fléau, notamment en soutenant par l’investissement l’activité des PME/PMI locales, premières créatrices d’emploi ? C’est précisément l’inverse que vous mettez en œuvre, au risque de vous contredire d’une page à l’autre lorsqu’après avoir présenté ce que vous nommez par euphémisme « la maîtrise de la dépense publique » comme la seule panacée à la crise, vous osez affirmer à la page suivante que « maintenir un
haut niveau d’investissement local est la meilleure réponse à faire à la crise ». Mais l’évolution de l’investissement départemental est hélas en contradiction totale avec ce vœu pieu et la DM ne fait que confirmer cette tendance puisque l’investissement y est le plus touché.
En 2013, pour la 4ème année consécutive, l’investissement est encore en baisse pour atterrir sous les 200 Millions d’€ soit une diminution de + de 50 % et – 215 M d’€ en 5 ans. Des dépenses d’investissement qui ne représentaient plus que 22 % du total des dépenses au Compte Administratif 2011 lorsqu’en 2008 elles se situaient à 31%, avec, qui plus est, un taux d’exécution ayant reculé de 16 % !
Voilà la triste réalité de ce que vous appelez, avec une « pudeur de demoiselle », « un redimensionnement des dépenses d’investissement ».
Qui plus est pour se vanter d’ainsi « réduire le recours à l’emprunt ». Comme si le recours à l’emprunt était intrinsèquement mauvais, alors qu’il peut constituer un levier essentiel de relance, dès lors qu’il est vertueux et s’applique à des investissements socialement et économiquement profitables. « La meilleure réponse à faire à la crise » pour reprendre vos propres termes.
Un effondrement de l’investissement qui par ailleurs n’est pas sans incidence sur les recettes départementales lorsque le Fonds de Compensation de la TVA est passé de 35,7 Millions d’€ au CA 2008 à 20,3 Millions d’€ au CA2012 soit une baisse de 15,4 Millions d’€ en quatre ans représentant – 43,14 % !
C’est bien ce cercle vicieux qu’il faudrait rompre plutôt que de le creuser.
Et puisque nous abordons le chapitre des recettes, même si nous constatons que cette cure d’opposition vous a restitué une lucidité à laquelle vous ne nous aviez pas habitué durant le précédent quinquennat pour ce qui concerne la « fable » du financement à l’euro près des transferts de charges de l’État vers le Conseil Général, la situation n’en reste pas moins des plus préoccupantes :
En effet, s’agissant du différentiel de couvertures entre charges et compensations réelles relatif aux allocations individuelles de solidarité assurées par les départements au titre de l’APA, de la PCH et du RMI-RSA, si le constat est acté d’une insuffisance de compensation estimé entre 4,8 milliards et 6,2 milliards d’euros depuis leur instauration en 2002, cela prouve bien que ce déficit ne date pas de 2012 et que nous étions donc fondés à dénoncer ce déficit qui se creusait contrairement à ce que vous avez défendu pendant des années. D’ailleurs pour le seul département des Alpes-Maritimes, ce différentiel est supérieur à 920M€ sur la période 2004/2013 (124 M€ en 2012).
J’en profite d’ailleurs pour vous rappeler que nous avions présenté l’an dernier une motion sur ce sujet dont vous n’aviez pu que convenir de la pertinence et vous aviez alors pris l’engagement que cette motion puisse être examinée en Commission des Finances afin de pouvoir être ensuite soumise au vote de notre assemblée. Or à ce jour, nous attendons toujours.
Nous avons toujours défendu, hier comme aujourd’hui, l’idée que ces politiques relevaient de la solidarité nationale et ne pouvaient rester seulement tributaires des moyens dont chaque collectivité dispose.
D’autant plus quand simultanément, non seulement les recettes diminuent mais l’autonomie fiscale des départements fond comme neige au soleil. Quel rôle peut encore jouer le département quand globalement plus de 80 % de son budget sert à financer des politiques contraintes par l’État sans qu’il puisse en maîtriser ni l’évolution des dépenses ni celle des recettes, les moins de 20 % restants étant censés pouvoir soutenir les politiques volontaristes dans le cadre d’une clause de compétence générale vidée de sa portée ? Avec une autonomie en peau de chagrin qui n’a cessé de se rabougrir pour voir la part des recettes dont le département décidait passer d’un tiers en 2009 à 16 % à l’heure actuelle. Une situation aggravée, tout d’abord par la suppression de la Taxe Professionnelle que vous avez promue puis ensuite par le gel des dotations aux collectivités locales décidé par Fillon et soutenu par vous-même. Et plus encore par la baisse de 1,5 Milliard d’€ pour 2014 et 2015 de ces mêmes dotations décidée par l’actuel gouvernement. La purge d’austérité que nous dénoncions hier ne nous paraîtra pas plus digeste aujourd’hui au prétexte qu’elle nous est servie dans une assiette rose.
Une précarité financière que ne sauveront pas des droits de mutation aléatoires par essence et dont nous avons maintes fois dénoncé la dangerosité de leur poids surdimensionné dans nos recettes. Un horizon bouché qui ne pourra que s’assombrir avec la Loi des Métropoles votée grâce à la complicité entre le PS et l’UMP dont l’objectif à terme est la disparition des communes et des départements.
Vous évoquez ensuite le pouvoir d’achat des ménages, particulièrement atteint ces dernières années dans notre pays avec un impact évident sur la consommation mais aussi sur la production de biens. Même si cette question ne relève pas directement de notre assemblée, c’est bien l’orientation politique et économique de l’austérité à tout crin que vous défendez depuis des années qui est au cœur de la crise. Un dogme austéritaire qui se perpétue hélas d’une majorité à l’autre et qu’il vous est bien difficile de contester sur le plan national lorsque vous le mettez en œuvre au niveau départemental. Comment dès lors reprocher au gouvernement actuel de perpétuer la politique que la majorité que vous souteniez hier a initiée ? Une politique dont les ravages ne cessent de s’étendre, notamment au sein de l’Union Européenne, avec quels désastres sociaux et économiques en Grèce, au Portugal, en Espagne ou bien encore en Italie ! A quand notre tour ?
À tel point d’ailleurs que de nombreuses voix, y compris parmi les plus ardents promoteurs des politiques d’austérité, tel que le FMI, confrontée aux graves conséquences pour les peuples, prônent une réorientation vers l’investissement et la croissance. Qu’elles semblent loin les envolées lyriques du Bourget où le candidat pas encore Président promettait d’affronter le pouvoir de la finance qui n’avait qu’à bien se tenir. Il se tient depuis fort bien avec 40 milliards d’euros de dividendes distribués l’an dernier par les entreprises du CAC 40. Car tout le monde n’est pas logé à la même enseigne en matière de crise.
Victor Hugo le rappelait déjà : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. »
Lorsque vous évoquez aussi « 2 années de forte hausse de la fiscalité », faudrait-il savoir pour qui ? Pour les familles les plus modestes censées compenser, notamment par le biais de la TVA, tous les cadeaux fiscaux et autres exonérations par centaines de milliards d’euros offerts à la finance ? Plus d’un million de nouveaux foyers vont se retrouver assujettis à l’impôt sur le revenu sans que leur situation ait été modifiée. Avec toutes les conséquences sur la taxe d’habitation, les APL, les indemnités CAF, la redevance télé et autres petits avantages qu’une non imposition permettait à partir du coefficient social. Dans votre appréciation sélective, vous oubliez de dire, Monsieur le Président, que ce nouveau mauvais coup porté aux familles est issu d’une disposition du gouvernement Fillon que l’actuel s’est simplement bien gardé de remettre en cause. Alors que certains tenants de votre sensibilité se lancent dans une campagne poujadiste et réactionnaire contre l’impôt, quelles sont donc leurs réponses pour satisfaire les besoins de santé, d’éducation, de sécurité et de services publics de proximité ? Où trouver les moyens de la solidarité nationale, notamment pour financer les allocations individuelles de solidarité assurées par les départements au titre de l’APA, de la PCH et du RMI-RSA que nous évoquions plus haut ? La campagne sur le « ras-le-bol » fiscal vise surtout à masquer une inégalité croissante face à l’impôt, y compris concernant les entreprises lorsque le taux d’imposition des PME s’établit à 39% quand pour les groupes du CAC 40 il ne se situe qu’à 8% ! Non il n’y a pas trop d’impôts pour répondre aux besoins, il y a surtout un sentiment d’injustice face à une répartition de plus en plus inégalitaire, une pratique de cadeaux fiscaux insupportables, une évasion fiscale (60 à 80 milliards par an) que l’on refuse de combattre quand on réduit les moyens humains de l’administration des finances pour combattre ce fléau.
Oui il y a besoin d’une grande réforme de la fiscalité marquée par la justice et qui pourrait s’appuyer sur les mesures suivantes : baisse de la TVA, rétablissement de l’impôt économique territorial assis sur le capital des entreprises, taxant les actifs financiers et prenant en compte l’évolution de la masse salariale et des effectifs, précaires compris. En fait, la réintroduction d’une Taxe Professionnelle que vous avez supprimée et dont on a vu les « brillants » effets sur l’évolution de la situation de l’emploi dont c’était pourtant l’objectif annoncé. Mais aussi, le renforcement de l’action contre l’évasion fiscale, un impôt sur le revenu de type universel à taux progressif et au nombre de tranches relevé, l’arrêt immédiat de toutes les exonérations pour les grandes entreprises, la prise en compte des revenus dans le calcul de la taxe d’habitation pour la rendre progressive. Voilà des mesures de justice qui porteront la vraie marque d’une solidarité nationale et qui rendrait l’impôt acceptable et nécessaire.
Une réponse également sur le terrain de la pauvreté par le pouvoir d’achat : la hausse généralisée des bas salaires et le SMIC à 1700 € ; On en verrait aussi tous les effets bénéfiques sur la consommation, la situation de la sécurité sociale, les caisses de retraites, les retombées fiscales utiles.
Reprocheriez-vous présentement au Président actuel et à son gouvernement de poursuivre la politique du précédent fondée sur la maîtrise de la dépense publique qui demeure votre priorité pour le département et dont les personnels de notre collectivité assemblée, les populations ou encore le mouvement associatif et sportif subissent toutes les conséquences.
C’est cette politique austéritaire que vous soutenez qui fait croître ce nombre de bénéficiaires du RSA, favorise l’augmentation continue des dépenses sociales à partir des besoins croissants des personnes en situation d’APA ou de PCH.
C’est cette politique, austéritaire pour certains et fastueusement provocatrice pour les plus fortunés, qui génère tant de laissés pour compte et de déstructuration de notre société.
Comment pouvez-vous, pour 2014, accompagner la politique de régression de ce gouvernement que vous transposez pour notre département dans vos orientations budgétaires quand dans notre pays, en 2012, pour ne prendre que cet exemple, les 500 plus grosses fortunes ont progressé de 25% ? Ne sommes nous pas là dans l’obscénité quand sans cesse des sacrifices sont demandés aux plus modestes ? Le SMIC, les allocations familiales, les retraites, les salaires, les moyens pour nos communes et notre assemblée ont-ils augmenté d’autant ? Où est la justice ?
C’est pourquoi nous ne pouvons souscrire à votre invitation de « soutenir cette stratégie de la maîtrise de la dépense publique ».
C’est l’échec à coup sûr et nous en mesurons déjà les conséquences. D’année en année, nous allons de reculs en reculs alors que notre département, notre pays ont besoin d’une relance forte par la satisfaction des besoins et ils sont nombreux.
Les moyens pour ce faire existent. Seules la volonté politique et les injonctions européennes l’empêchent. Il est plus que jamais urgent d’inverser cette tendance et de redonner ses lettres de noblesse à la politique. Professer l’impuissance du politique face au pouvoir de la finance c’est nourrir la désespérance des peuples et faire le lit de la démagogie de l’extrême-droite.
Edgard Morin l’écrivait : «À force de reporter l’essentiel au nom de l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel».
L’essentiel aujourd’hui, dans les Alpes-Maritimes comme en France, c’est de se donner les moyens de répondre aux besoins de notre peuple. Il est urgent pour cela de s’attaquer à la prédation sans précédent des profits financiers spéculatifs privés sur les richesses créées par le travail afin de les mettre au service du bien commun. Nous vous invitons donc pour le prochain budget à ne pas négliger l’urgence de l’essentiel.